Le Tour de la Méditerranée en VéloSoleX en 1951
Bulletin Mensuel de
l'Amicale Cycliste Clermontoise
Août 1951
Voyage autour de la Méditerranée
par Jacques LAPEYRE
Accomplir un voyage n’est rien, partir est plus difficile ! En effet,
ce n’est pas dans le déroulement d’un voyage que l’on rencontre les difficultés
les plus grandes, on les trouve bien avant le départ.
Pour ma part, le voyage dura quatre longs mois, mais les préparatifs en
demandèrent bien huit. Il faut croire que les pays méditerranéens ont
l’habitude de recevoir les visites d’hôtes indésirables car les pays comme
la Grèce, l’Egypte, la Libye, l’Espagne, réclament des visas à leurs visiteurs.
Un visa, en apparence, un maigre cachet apposé sur une quelconque page
du passeport, n’est pas une chose facile à obtenir. Si pour appuyer votre
candidature auprès du consulat intéressé, vous ne possédez pas un imposant
traveller-chèque, il vous faudra déployer forces ruses de Sioux.
Dès la première heure deux amis parisiens furent chargés d’effectuer pour
mon compte les démarches nécessaires, mais malgré leur dévouement et leurs
relations, ils n’obtinrent pas la totalité des sauf-conduits nécessaires,
ma présence sur place était indispensable.
C’était une grosse déception pour moi, il n’y avait encore rien de positif
de fait, le temps passait et je me demandais si je pourrais partir à la
date prévue.
Au cours d’un déplacement dans la capitale, il me fallu déployer pas mal
d’éloquence au consulat de Grèce, faire un peu de charme auprès de la
blonde secrétaire de l’Ambassade d’Egypte, et fournir à la britannique
desséchée qui me reçut au bureau des visas pour la Libye, une lettre avec
entête commerciale expliquant les « pourquoi et comment » du voyage. Tout
d’abord cette dernière me dit ne délivrer de visa de transit que dans
le sens Tunisie-Egypte, puis revenant sur ses déclarations précisa que
quelque soit le sens du trajet la durée du visa ne pouvait excéder trois
jours, une prolongation demanderait des délais de délivrance assez longs.
Craignant que ces démarches ne m’entraînent assez loin, j’acceptais ces
conditions me réservant l’espoir d’obtenir, plus tard, sur place, la prolongation.
Nanti de tous mes visas, il me fut ensuite facile de me faire délivrer,
après autorisation de l’Office des Changes, devises et lettres de crédit,
puis billets des compagnies maritimes. Ces huit mois de préparation ne
furent d’ailleurs pas inutiles, ils me permirent de bien étudier mes itinéraires
dans les divers pays, d’en connaître les ressources et de comprendre leurs
mœurs. Pour bien pénétrer un pays il ne suffit d’ailleurs pas de le traverser,
il faut être informé des origines, des religions et des aspirations de
son peuple. Cela ne s’obtient que par de nombreuses lectures. Sur certains
pays et notamment sur la Libye, il me fut très difficile de réunir une
documentation suffisante.
Les voyages lointains sont actuellement très en vogue chez les sportifs
français. J’aurais aussi bien pu choisir un périple en Europe centrale
ou en Afrique Equatoriale, aujourd’hui toutes les audaces sont permises.
Il y a deux ans j’avais envisagé un tour complet du continent africain
en jeep et lors de cette étude, toute livresque d’ailleurs, j’avais été
particulièrement été séduit par la douceur du climat de l’Egypte, et influencé
par des descriptions flatteuses de cette porte de l’Orient dont je subissais
le charme. Dans l’impossibilité matérielle de réaliser ce grand projet,
je choisis l’Egypte comme point extrême de mon périple, ne prévoyant pas
pour l’atteindre un banal voyage de plusieurs jours sur un luxueux paquebot,
mais plutôt un aventureux voyage par la terre, et telle la construction
d’un diadème, je ne pouvais entourer l’Egypte, le joyau, que par d’autres
brillants, les pays méditerranéens éclatants de soleil étaient parfaitement
choisis.
Mon projet initial était donc de quitter la France par Menton, puis longeant
la côte italienne jusqu’à Naples, me diriger sur l’Adriatique par la trouée
de Benevent pour m’embarquer vers l’Albanie. De là en traversant la chaîne
du Pinde dans sa partie la plus étroite, joindre Athènes par la plaine
de Thessalie. Pour accomplir un véritable circuit méditerranéen, il fallait
traverser la Turquie, mais je préférais éviter les tracasseries de la
police turque, de réputation fâcheuse. Passer en Israël ne me souriait
également peu, car ni juif ni arabe, je ne pouvais plaire à aucun des
deux partis.
D’Athènes, embarquement pour l’Egypte où je me reposerai dans sa douceur
de décembre avant l’épreuve de la Libye. Ensuite par l’Afrique du Nord
Française rejoindre le vieux continent à Gibraltar ; d’Andalousie gagner
le Portugal, de réputation hospitalière, avant de retrouver la France.
Peu de temps avant mon départ, j’apporte une première modification au
parcourt initial et ceci à la suite d’une information parue dans un hebdomadaire.
Je comptais aborder en Albanie à Valona. Or, il paraîtrait que dans la
baie de ce port, la petite île de Soseno serait aménagée sous la direction
de techniciens russes en base de sous-marins, avec des galeries souterraines,
des magasins profonds, on parle même de l’établissement de rampes de lancement
pour projectiles du genre V2, ceci à la grande peur des italiens (il leur
faut peu de choses pour les effrayer) qui songent que 55 miles séparent
Otranto de Valona. Je doute fort que l’on me délivre un visa pour cette
région, et personnellement je ne tiens nullement à mettre mon nez dans
ces affaires qui ne me regardent pas ; la curiosité artistique pouvant
être mal interprétée, je raye donc l’Albanie de mon parcours.
Mes passages maritimes m’imposaient un peu un horaire rigide. Devant me
trouver à date fixe à la pointe de l’Italie, il ne m’était plus possible
de partir de ma ville d’origine, Clermont-Ferrand, sans interrompre ma
progression par un transport plus rapide. Cela, je ne le voulais à aucun
prix, songeant peut-être déjà à la performance qui allait commencer avec
le premier tour de roue. C’est donc par le train que je rejoignais Nice
en une seule nuit, gagnant ainsi plusieurs étapes.
A Nice, j’étais au bord de la côte, il ne me restait plus qu’à en suivre
les contours pendant des mois, mon périple commençait.
Je partais seul : ce fut une erreur dont je me rend compte dès les premières
étapes ; durant tout mon voyage je souffris de cette démoralisante solitude.
Pourtant j’étais mieux que quiconque préparé à cette épreuve : indépendant
et parfois rêveur, je pouvais sans effort me replier sur moi-même. Dès
mon plus jeune âge, la lecture des exploits de voyageurs ou de navigateurs
solitaires m’avait formé à ce genre de raid.
Pourquoi n’avoir pas choisi, dès le début, un compagnon ? Sans doute par
peur d’un échec, je n’osais confier mes projets à un éventuel accompagnateur
avec qui je devais me trouver pendant plusieurs mois en complète harmonie,
physique et morale..
Depuis quelques mois je possédais un VeloSoleX ; bien avant le départ
il avait toute ma confiance. Il ne me déçut jamais, son principe d’entraînement
était certainement le plus indiqué pour les difficultés de mon voyage ;
le sable aurait été le plus grand ennemi d’une chaîne, et un moteur au
pédalier, trop bas, m’aurait interdit le passage dans les dunes.
Pour des raisons d’économie et par goût, le voyage se fit en camping.
Etant seul, le matériel à emporter était formidable. En plus du classique
équipement du campeur, avec des vêtements légers pour la traversée du
désert, ou chauds et encombrants pour le franchissement de sommets élevés
à une époque hivernale, j’avais avec moi des appareils de photo et cinéma
ainsi que de nombreux films et des réserves importantes d’essence et d’eau.
Tout loger sur ma machine fut un tour de force. Le réservoir d’essence
se plaça sur le cadre, le réchaud sous la selle, la tente sur le porte-bagages
et le matériel accepta l’entassement dans deux volumineuses sacoches plaquées
par des sandow.
Ainsi équipé, je me mis en route pour un voyage qui devait durer quatre
mois et me faire parcourir plus de 9.000 kms. : à peu près trois fois
la distance séparant Moscou de Clermont-Ferrand
Il y a deux Italie, celle des hommes, avec ses nombreuses villes d’art,
et celle de la nature, étonnante par la beauté de ses sites. Dans les
condition de mon voyage et dans l’impossibilité de m’attarder dans la
visite de ses richesses artistiques, mon itinéraire, dédaignant Florence,
fut celui longeant la côte. Cette solution ne me déplaisait pas, car amoureux
de la mer, je ne souffrais pas de sa présence, bien que cette fois c’était
une maîtresse tenace qui ne devait me quitter qu’avec la frontière française,
au retour.
Déçu par Naples, cette ville grouillante et sale, avec des enfants loqueteux
se moquant de ma tenue sportive, escroqué et gêné plus que partout ailleurs
de l’excessive curiosité des italiens, j’ai au contraire, été émerveillé
par la majesté de sa baie dominée par le Vésuve, un des plus petits volcans
en activité mais certainement le plus célèbre. En 79 il détruisit Pompeï,
mais sa dernière éruption date de 1944. A Pompeï, une des plus grande
attractions de l’Italie, j’ai contemplé le spectacle d’une cité demeurée
telle que l’ont laissée ses habitants au moment de l’éruption.
Prenant des vues, je me suis reposé deux jours dans Sorrente, jardin merveilleux
où règne un printemps éternel. La côte aux rocs déchiquetés est surmontée
de jardins en terrasses où orangers et citronniers embaument. Au sud,
le golf de Salerne, au nord celui de Naples, Capri, l’île jolie avec sa
végétation luxuriante avec ses rochers aux formes fantastiques. Je profite
des plantations pour commencer une cure de fruits, car mes trop nombreux
casse-croûte à la mortadelle me donnent quelques irritations de la peau.
Après une halte à Salerne, je m’aperçois que ma trousse à outils a été
dévalisée ; je commençais à douter de la réputation chapardeuse des italiens,
me voici durement influencé pour ne plus défendre leur cause.
Par la trouée du Benevent, route plein est, grimpant jusqu’à Potenza,
puis par Altamura, la cité sauvage de type espagnol, avec ses hommes drapés
de capes noires et portant le feutre à fond plat et larges bords, je gagne
l’Adriatique à Bari. La côte est plate, banale et jusqu’à brindisi, mon
port d’embarquement pour la Grèce, la route, bordée d’oliviers, longe
de curieuses habitations construites à sec, rondes avec un toit conique.
A Ostuni, la ville blanchie à la chaux et construite il y a quelques siècles
à 4 kilomètres de la mer pour se préserver des débarquements barbares,
je me perds dans le dédale de ses ruelles presque couvertes. Je suis sauvé
par le son du haut-parleur de l’église, égrenant sur la ville ses interminables
cantiques et remontant le flot des plaintes liturgiques, je retrouve la
petite place centrale.
n quinze jours, j’ai atteint la pointe de la botte. L’Italie me laisse
l’impression d’un pays dont la population déborde ses frontières trop
petites. Il est possible de diviser l’Italie en deux parties, celle du
Nord, relativement aisée, avec ses industries, ses routes aux voitures
rapides, avec Gênes et Rome de grandes villes précédées de panneaux publicitaires
style U.S.A. et l’Italie du sud plus langoureuse sous son soleil, avec
de petites propriétés, vestiges des grandes plantations morcelées, avec
des oliviers régnant en maîtres.
A Brindisi un bateau régulier m’attend. Il me déposera au Pirée pour un
tour en Grèce. Je visite Patras, Corinthe et inspiré par les fameux raisins,
adopte l’alimentation méditerranéenne : cuisine à l’huile d’olive et grandes
quantités de fruits. J’acquiers de bonnes quantités de noix, noisettes,
figues et fait un pâté du tout, le coupe en rouleaux, mis à l’abri dans
du papier d’argent Ce seront mes vivres de survie pour un éventuel « naufrage »
dans le désert. L’épreuve principale m’attend et je vais vers elle en
prenant le bateau pour Alexandrie.
Enfin l’Egypte ! , j’y débarque le
7 décembre. Je fus naturellement déçu, car jamais un pays ne peut apparaître
tel que l’imagination le crée. Certes pour connaître l’Egypte des Pharaons,
il aurait fallu descendre beaucoup plus bas dans la fameuse vallée des
rois à Louqsor. Je tournais pourtant quelques jours dans le pays. Puis
je crois bien que la passion de voir du nouveau, toujours du nouveau,
me ressaisit et décidais de poursuivre, de voir toute la région désertique
qui s’étend entre la Libye et la Cyrénaïque, toute cette région où s’illustra
la 8ème armée britannique, et dont les noms de Tobrouk et Solum resteront
désormais gravés dans l’Histoire.
Le 14 décembre, je quitte Alexandrie par la route de la côte avec deux
pneus de rechange, 12 jours de vivres (pour un sobre) 8 litres d’eau.
Je m’attendais à trouver dans ces régions un temps chaude et à y souffrir
par la soif, et c’est le froid qui m’y surprit ! Un vent violent soufflait
sur le plateau de Libye et freinait ma marche. Pourtant, chaque jour,
j’abattais mon étape de 100 à 150 kms. C’était la distance que je m’étais
fixée, et suivant les vents, je couvrais la distance en 5, 7 ou 9 heures,
bien aidé par un matériel qui ne me lâcha jamais.
C’est de suite des étendues désertiques avec chaque 100 kms. de minuscules
villages qui eurent noms célèbres, El-Alamein, un groupe de quatre maisons
et un cimetière de plus de 8.000 tombes anglaises ; Marsa-Matrouh , Sidi-Barrani,
un bled : Solum, imposant par sa nécropole. Tout le long de la route des
vestiges des durs combats qui se déroulèrent en ces lieux sont encore
nombreux.
Je m’attendais à trouver dans ces régions un temps chaude et à y souffrir
par la soif, et c’est le froid qui m’y surprit ! Un vent violent soufflait
sur le plateau de Libye et freinait ma marche. Pourtant, chaque jour,
j’abattais mon étape de 100 à 150 kms. C’était la distance que je m’étais
fixée, et suivant les vents, je couvrais la distance en 5, 7 ou 9 heures,
bien aidé par un matériel qui ne me lâcha jamais.
Entre Tobrouk et Derna, l’aridité est telle que pas un seul groupe de
végétation ne vient couper la monotonie de ce parcours de presque de 200
kms. sans un seul relais. Le manque de signalisation ne comporte pas d’accoutumance
et reste toujours aussi démoralisant.
Dans ce petit désert, un héros de l’aviation française, le colonel Pijeaud,
abattu par la Flak allemande, puis évadé de l’hôpital de Derna, trouva
la mort sous un soleil de plomb avant de pouvoir rejoindre les lignes
anglo-égyptiennes.
A Derna, deuxième garnison anglaise sur ma route, je reçois un chaleureux
accueil des officiers du mess et accepte de rester plusieurs jours leur
hôte afin de passer en leur compagnie les fêtes du « Christmas ». Au contact
des gens d’Albion, j’ai retrouvé la civilisation européenne et ses obligations
vestimentaires. Au départ, en même temps que leurs vœux de bonne route,
j’étais nanti d’une lettre de recommandation qui, par la suite,me donna
une entrée dans tous les mess anglais se trouvant sur ma route.
Après la traversée de la fertile
plaine de Cyrène et Barce, j’atteins la petite capitale de Cyrénaïque,
Benghazi, où réside un consul de France, chez qui, fort aimablement reçu,
j’ai le plaisir de rencontrer son épouse, heureuse de parler de notre
cité auvergnate.
Dès le lendemain, avide de mon temps, je reprenais la piste sans pouvoir
compter désormais sur la sécurité morale et matérielle que m’apportait
la présence des postes anglais, qui ne devait se trouver qu’à l’approche
de Tripoli, près de 1.000 kms. plus loin. La route, un pauvre tracé défoncé,
meurtrie par la guerre et les intempéries, ravit rapidement mes pneus
hors d’usage, et il me fallut faire appel aux réserves.
Bien qu’un peu endurci par la traversée du désert égyptien, j’ai malgré
tout été assez éprouvé par le franchissement du désert syrtique, beaucoup
plus long et plus aride que le premier, certains parcours ne comprenant
aucun point d’eau durant près de trois cent kilomètres. La sécheresse
de l’atmosphère exigeait une forte absorption de liquide pour combattre
la déshydratation de l’organisme, avec un peu de volonté et un régime
dosé raisonnablement pour puiser dans mes réserves d’eau, j’ai pu aisément
combattre la puissance de l’évaporation cutanée. Mon grand ennemi avec
le vent, le sable, plus asséchant que le plus ardent des soleils, pénétrait
partout : dans la bouche, les yeux, les sacoches, faisant grincer la roue-libre ;
la violence du vent déplaçait parfois les dunes qui obstruaient la route,
formant de fluides obstacles où le VeloSoleX enfonçait jusqu’aux axes
de roues, le seul remède étant la traction à bras.
La présence de bandes nomades,
éternellement en errance, descendant parfois plus de deux mille kilomètres
plus au sud, et par le fait, ne subissant aucun contrôle d’une quelconque
police, m’imposait une certaine prudence. Le soir sitôt la nuit tombée,
je montais ma tente en évitant de ne produire aucune lumière pour ne pas
signaler ma présence aux bédouins. Peut-être n’avais-je rien à risquer
de leur part, néanmoins, la diversité de mon équipement si nouveau pour
eux pouvait provoquer la convoitise de ces gens simples, se nourrissant
du lait de leur chamelles, et de maigres galettes cuites sur des feux
aux crépitantes flammes alimentées par les excréments séchés de leurs
bête de bats.
Quelques rencontres inévitables se soldèrent , à mon désavantage, par
l’offre de quelques cigarettes, la seule monnaie du désert.
A aucun moment je n’ai songé à l’éventualité de la panne ou de l’accident
bête, m’interdisant même un pédalage de secours, qu’aurais-je fait dans
ce cas ? Mes dix jours de vivres me permettaient d’attendre la venue d’un
convoi anglais, en m’installant sous mon précaire abri de toile, c’était
certainement la meilleure solution ; il ne fallait en aucun cas s’éloigner
de l’unique route, ce fil d’Ariane vers la vie humaine.
En retard sur mon horaire primitif en raison de la violence du vent qui
s’opposait toujours à mon avance, j’atteins enfin à Tripoli, la première
grande ville depuis Alexandrie. Des vignes abondantes et surtout de fraîches
oasis se succédant me donnaient l’illusion d’un parcours dans un irréel
jardin exotique.
Retrouvant un peu le décor plat
des sables dans les confins tunisiens, puis l’exubérance de la végétation
de Gabès, la merveilleuse oasis à la blanche plage scintillante, j’étais
à Tunis le 11 janvier, trois mille kilomètres me séparaient d’Alexandrie.
Ma figure brûlée de soleil et mes yeux rougis de vent et de sable, ainsi
que l’épaisse poussière blanchâtre recouvrant mon équipement, prouvaient
l’âpreté de ces derniers jours. J’étais heureux de sortir victorieux de
l’épreuve et d’avoir terminé avec les grandes difficultés de mon parcours.
Ce fut une opinion qui reçu une vive contradiction dès le franchissement
de la frontière algéro-tunisienne. Je n’avais pas compté sur les pluies
et le vent qui souffla en tempêtes pendant plusieurs jours, m’occasionnant
même une douloureuse chute. La route fut coupée par le débordement d’un
oued et la traversée s’effectua sur le dos de sportifs cantonniers arabes.
Evitant la bise du nord sévissant sur la côte en prenant la direction
des hauts plateaux, j’ai, en revanche, trouvé la neige et le froid aux
pieds des monts de Kabylie, pour finalement atteindre Alger avec un soleil
radieux, rendant encore plus lumineux l’éclat de ses blanches maisons
étagées au bord du littoral.
Pour rejoindre Tanger, la route apparemment la plus directe ne s’éloignait
pas de la côte, mais traversait le rif espagnol montagneux et d’accès
difficile. J’ai donc préféré emprunter la dénudée plaine de Guercif pour
atteindre l’atlantique par Casablanca ; cette porte océane créée de toutes
pièces par Lyautey, puis modifiée par le génie français, puis par l’apport
des indigènes, étrangers, et par le démon de la spéculation. Automobiles
luxueuses, mendiants, cireurs, vendeurs de journaux, perforatrices, grouillent
dans la laideur sympathique de celle qui demain sera belle.
J’avais quelques appréhensions en arrivant à Tanger, le fameux port international ;
quel accueil m’y serait réservé ? J’ai heureusement retrouvé un ami qui
fut le cicérone parfait et me démontra que la réputation fâcheuse de la
ville cosmopolite était un peu surfaite.
La présence de bandes nomades, éternellement en errance, descendant parfois
plus de deux mille kilomètres plus au sud, et par le fait, ne subissant
aucun contrôle d’une quelconque police, m’imposait une certaine prudence.
Le soir sitôt la nuit tombée, je montais ma tente en évitant de ne produire
aucune lumière pour ne pas signaler ma présence aux bédouins. Peut-être
n’avais-je rien à risquer de leur part, néanmoins, la diversité de mon
équipement si nouveau pour eux pouvait provoquer la convoitise de ces
gens simples, se nourrissant du lait de leur chamelles, et de maigres
galettes cuites sur des feux aux crépitantes flammes alimentées par les
excréments séchés de leurs bête de bats.
Quelques rencontres inévitables se soldèrent , à mon désavantage, par
l’offre de quelques cigarettes, la seule monnaie du désert.
A aucun moment je n’ai songé à l’éventualité de la panne ou de l’accident
bête, m’interdisant même un pédalage de secours, qu’aurais-je fait dans
ce cas ? Mes dix jours de vivres me permettaient d’attendre la venue d’un
convoi anglais, en m’installant sous mon précaire abri de toile, c’était
certainement la meilleure solution ; il ne fallait en aucun cas s’éloigner
de l’unique route, ce fil d’Ariane vers la vie humaine.
Retrouvant un peu le décor plat des sables dans les confins tunisiens,
puis l’exubérance de la végétation de Gabès, la merveilleuse oasis à la
blanche plage scintillante, j’étais à Tunis le 11 janvier, trois mille
kilomètres me séparaient d’Alexandrie. Ma figure brûlée de soleil et mes
yeux rougis de vent et de sable, ainsi que l’épaisse poussière blanchâtre
recouvrant mon équipement, prouvaient l’âpreté de ces derniers jours.
J’étais heureux de sortir victorieux de l’épreuve et d’avoir terminé avec
les grandes difficultés de mon parcours. Ce fut une opinion qui reçu une
vive contradiction dès le franchissement de la frontière algéro-tunisienne.
Je n’avais pas compté sur les pluies et le vent qui souffla en tempêtes
pendant plusieurs jours, m’occasionnant même une douloureuse chute. La
route fut coupée par le débordement d’un oued et la traversée s’effectua
sur le dos de sportifs cantonniers arabes. Evitant la bise du nord sévissant
sur la côte en prenant la direction des hauts plateaux, j’ai, en revanche,
trouvé la neige et le froid aux pieds des monts de Kabylie, pour finalement
atteindre Alger avec un soleil radieux, rendant encore plus lumineux l’éclat
de ses blanches maisons étagées au bord du littoral.
Pour rejoindre Tanger, la route apparemment la plus directe ne s’éloignait
pas de la côte, mais traversait le rif espagnol montagneux et d’accès
difficile. J’ai donc préféré emprunter la dénudée plaine de Guercif pour
atteindre l’atlantique par Casablanca ; cette porte océane créée de toutes
pièces par Lyautey, puis modifiée par le génie français, puis par l’apport
des indigènes, étrangers, et par le démon de la spéculation. Automobiles
luxueuses, mendiants, cireurs, vendeurs de journaux, perforatrices, grouillent
dans la laideur sympathique de celle qui demain sera belle.
J’avais quelques appréhensions en arrivant à Tanger, le fameux port international ;
quel accueil m’y serait réservé ? J’ai heureusement retrouvé un ami qui
fut le cicérone parfait et me démontra que la réputation fâcheuse de la
ville cosmopolite était un peu surfaite.
Une courte, mais pénible traversée du détroit agité me fit retrouver la
vieille Europe avec le continent ibérique.
La traditionnelle solitude de ce
pays fond peu à peu devant l’extraordinaire essor qu’il connaît. Mais
de tout l’ensemble du pays se détache une impression de pauvreté. Malgré
sa sobriété l’Espagnol, dont le salaire est bas, doit s’imposer une extrême
frugalité. La rigueur des mœurs espagnoles ne tolère pas même dans un
exercice sportif, une tenue trop dégagée et, dès le début, j’ai volontairement
abandonné le short au profit de mon golf, c’est d’ailleurs un acte de
courtoisie que de se plier aux coutumes du pays dont on est hôte.
A cette époque de l’année, le climat continental de l’Espagne ne me permettait
pas une traversée du plateau central, balayé par des vents glacés. La
route longeant la côte fut donc choisie.
Un parcours plat sur une route bordée de plantations de cannes à sucre,
puis de nombreux lacets dans les contreforts de la Sierra Nevada, abrupte
et élevée, m’amenèrent dans les plaines de Murcie, de Valence, près de
Torbossa sur le vaste delta de l’Ebre. Par Barcelone et le col de la Junquéras
j’atteignais, le 12 mars, la frontière française.
La grande randonnée prenait fin. Narbonne, Sète, Millau, Le Puy, Brioude
furent mes dernières étapes avant de retrouver Clermont-Ferrand où un
charmant accueil des amis et des membres de l’A.C.C. venus à ma rencontre,
me confirmait l’intérêt qu’ils m’avaient manifesté tout au long du voyage.
C’est également par l’accomplissement de tels voyages qu’il est possible
d’améliorer sa propre technique et son matériel et par là d’en faire bénéficier
les autres. En raison du profil de mon trajet le matériel, bien étudié,
eu pourtant quelques réactions imprévisibles. Le comportement de mon fidèle
moteur auxiliaire lui confère le plus beau des brevets d’endurance et
de qualité. Luttant continuellement contre le vent d’ouest qui ralentissait
considérablement ma marche, obligeant le moteur à tourner bien au-dessus
de son régime , je n’ai pourtant jamais constaté un échauffement excessif
de la culasse. Malgré les mélanges de carburants plus ou moins purs, les
différences de climat et de température, le moteur a toujours normalement
fonctionné, mais les décalaminages devaient être plus fréquents.
Malgré le chois d’aliments transportables en sachet, le rejet de tout
matériel présentant des angles vifs, la protection de chaque objet, les
frottements provoquèrent des dégâts. Bidon d’huile perdant plusieurs fois
son bouchon à l’intérieur des sacoches, tubes de lait ou confiture répandus
sur les objets environnants. Au départ je craignais un percement des sacoches
par les écrous des axes des roues : stupéfaction ce fut le dos cuir qui,
avec l’aide du sable, formant abrasif, usa les angles des têtes de boulons,
rendant le démontage difficile, la clef ne mordant plus.
Deux chutes, la rupture d’un rayon et huit crevaisons seulement enraillèrent
ma route. Cela prouve qu’avec une bonne préparation, le bilan des incidents
techniques en égard aux kilomètres parcourus et aux difficultés rencontrées
est minime.
Sur le plan sentimental, l’intérêt touristique d’une telle randonnée est
discutable : trop de déserts, trop de paysages arides, trop de difficultés
en raison de l’instabilité politique de nombre de pays, et la tendance
présente anti-européenne des peuples islamiques. Hormis les risques qui
en découlent, cette tendance hostile peut détruire toute l’harmonie d’un
voyage. J’avais été à la recherche de l’exotisme, était-il possible de
le rencontrer à une époque où les vahinés qui charmèrent Loti roulent
en motocyclette et jouent au basket ; L’avais-je trouvé ? Oui quand en
Grèce j’admirais de jeunes bergères en costume ancien, filant leur quenouille,
oui quand j’errais dans les palmeraies de la Tripolitaine, oui, à la seule
condition de porter des œillères pour ne pas voir sur les murs de Sidi-Barrani
les panneaux de coca-cola, ou le bédouin bien juché sur une ancienne roulante
de l’Afrika-Korps.
Si pour la vulgarisations des sports de compétition, des champions parfois
promus au rang d’idoles sont nécessaires, il est indéniable que pour attirer
l’attention des jeunes sur les possibilités du tourisme actif, il faut
créer des exemples, et nul ne contestera l’intérêt que présente sur le
plan humain des exploits individuels comme les randonnées de Lionel Brans
ou autres. C’est dans cet esprit que j’ai entrepris mon voyage et il faut
déplorer l’indifférence ou la froideur rencontrées près de nos représentants,
la méfiance des administrations et polices étrangères, mais souligner
l’accueil chaleureux des particuliers.
Sur la gauche de la photo Monsieur Auchatraire représentant de VeloSoleX et Monsieur Moine (l'homme avec la pipe) félicitaient le samedi 17 mars 1951 Monsieur Gautho- Lapeyre pour son périple de plus de 9000 Kilomètres autour du Bassin Méditerranéen
La réussite de mon voyage n’a rien
d’exceptionnelle, et son entreprise peut devenir d’une pratique plus fréquente.
Il faut espérer que mon succès va encourager de nombreux sportifs à se
lancer à leur tour dans un sens ou dans l’autre sur un des grands axes
européens ou même africains. A ceux qui veulent bien la franchir, la porte
des grands horizons est ouverte, qu’ils en aient l’ambition.
Les raisons du voyage :
De certaines inclinations pour les plaisirs de la découverte, des
rencontres, des échanges avaient déterminé Jacques
à ce voyage mais il en escomptait une reconnaissance de compétence
en matière de grand tourisme, d'aventure, renforcée par
une notoriété que la presse apporterait.
Ce renom devant lui servir pour s'établir commercialement.
Carte du Tour de la Méditerranée dessinée par monsieur Jacques Gautho-Lapeyre